Un monde imparfait

Je n'aimais pas les dimanches. Un peu réconciliée depuis que je ne travaille vraiment plus, mon métronome intérieur n'est plus influencé par le fameux lundi de reprise. Ce dimanche haï occupe une place égale aux autres jours.
Depuis le confinement je déteste maintenant chaque jour qui ressemblent à un dimanche, ou à un lundi de reprise, ou à n'importe quel jour sans saveur.
Pour moi la saveur des jours c'est l'imprévisibilité des événements, l'inattendu, le petit moment qui déconcerte, la surprise du fortuit, le brusque changement de décisions, l'improvisation.
Quand chaque jour risque de ressembler au précédent et, pire, au suivant, avec si peu de marge de décision, si peu d'autonomie, si peu de chance que quelque chose arrive sans crier gare – sauf le Covid, mais nous n'en parlerons pas, hein ?,
quand nous ne pouvons plus dire "tiens, si on allait boire une bière au Coota" ou "allo, vous passez prendre l'apéro ?" ou "il fait beau ce matin je vais tremper mes pieds dans les vagues",
quand nous croulons sous les tutos, les vidéos solidaires qui nous proposent mille et une activités pour occuper nos journées confinées,
ma question est : que pouvons-nous faire pour créer nous-même l'accident original, l'imprévu, la bavure, l'incident salvateur ?

Une idée à partager ?

Quelques idées en vrac :
- préparer un sms assassin, plein de reproches et d'attaques personnelles (mais tout de même assez généralistes) et lancer un dé (une ou plusieurs fois selon la fourchette de chiffre/nombre que l'on souhaite atteindre) ; envoyer le SMS à la personne de vos contacts qui se situe (en partant du début ou de la fin de la liste) au n° du chiffre indiqué par le dé (ou la somme des lancés de dé). Attendre la réponse…
- idem, mais avec un SMS plein d'amour, bien entendu…
- idem mais avec un SMS le plus neutre possible, plein de platitudes

- préparer un SMS ou un mail. Lancer un dé. Remplacer tous les substantifs du message par le substantif suivant, au nombre indiqué par le dé, dans le dictionnaire (celui que vous voulez…) Par exemple, vous lancez le dé et vous obtenez 7. Vous comptez les substantifs qui suivent celui que vous aviez prévu d'écrire jusqu'à parvenir au 7ème et vous le placez dans le texte en remplacement de celui que vous aviez initialement écrit. Vous envoyez le message - sans son mode d'emploi. Ca fonctionne notamment très bien pour les listes de courses que l'on demande de faire à quelqu'un d'autre.

- vous brisez malencontreusement un objet offert par quelqu'un, que vous contactez pour lui raconter l'incident, que vous concluez par un "je m'ennuyais tellement"!

- vous demandez à une personne confinée avec vous de cacher un objet dans votre logement. Vous devez non seulement trouver où mais également la raison pour laquelle c'est cet objet qu'il ou elle a choisi - ainsi que le pourquoi de cette cachette.

- vous proposez un jeu d'écriture impossible et vous attendez les réactions.

Réponse sous forme de proposition d'un jeu d'écriture du monde imparfait de Gaëlle.

Consoeur :
Prépare un texto. Lance un D.E.A. Remplace tous les substituts de la messe par le motard suivi, précisé par le nombril du déambulateur que tu as lancé au haschich. Envoie le message, sans son modelage employeur. Attends la réactivité de ton destockage.

Maternelle nécessaire :
un dealer
un feuilleton
un créateur
un didjeridoo

Pas trop compris au départ. Essai. Un peu de triche.....  mais à peine.....C'est rigolo en fait !

Comment créer de l'imprévu ?

Par exemple :
Habillée, liste de courses complétée, autorisation-dérogation- remplie, les clefs de la voiture dans une main, sacs de courses dans l'autre, j'ouvre la porte et.....hop, hop, coup de tête, coup de folie....Si si, en ces temps la folie peut se résumer à : je n'irai pas ! je n'irai pas faire les courses..... Hop hop, retour à l'étage, voyons voir ce qu'il reste dans le frigo ? Que puis-je cuisiner avec ce qu'il reste ? Puis-je me passer de ce que j'avais prévu (envie?) d'acheter ? Si c'est oui partout, alors c'est bien moi qui décide de ne pas sortir, et non plus une bêtasse d'autorisation réglementaire à la c.......

Une victoire sur le totalitarisme administratif mais pas que ! A  bas la dictature du papier, à bas la bureaucratie, à bas la consommation !

Ras les masques !!

Et ensuite ?
Que vais-je faire de cette heure que je m'accorde en plus (alors qu'aucune contrainte ne réduit mon potentiel horaire d'été : plus de 12h de lumière + l'aube + le crépuscule = beaucoup de temps !) ?
La réponse : RIEN ! Je ne vais rien faire ! Je vais écouter les oiseaux, les vagues au loin, le caquètement des poules. Une heure totalement inutile et improductive ! Une heure volée à une programmation construite pour occuper ce temps de confinement, une heure de vide pour faire la nique aux journées qu'on essaie de remplir pour oublier l'enfermement. Pas de ménage, pas de jardinage, pas de rangement, pas de lecture, pas de cuisine, pas de coup de fil.

NADA !

Imprévu ou inattendu?

20 avril : je ne reçois pas d’appel, la messagerie mail ne se renouvèle pas, pas de SMS…L’impression que sur internet, les nouvelles sont les mêmes qu’hier. Du fait de la garde alternée, les enfants ne sont pas là pour montrer qu’ils vivent, minute après minute : qu’ils grandissent… Idée qui traverse : la maison a été déconnectée, arrachée de ses racines durant la nuit, transportée ailleurs…on m’a déposée quelque part, où je serai seule, dans ma maison comme sur une île, dans un illusoire confort qui va s’étioler à mesure que mes réserves vont s’amenuiser, à moins que je parvienne avec ce que j’ai sous la main, à créer une écologie de survie : je pense immédiatement aux informations collectées pour savoir faire un potager, reconnaître et récolter des plantes médicinales, mettre en conserve des aliments… Mais non, par la fenêtre, je vois les maisons des voisins, je vois bien également que j’ai toujours de l’électricité et l’eau courante…alors que se passe-t-il ? Je respire profondément et je le sens : toute croissance s’est arrêtée. La vie s’est mise en grève. Non seulement le monde retient son souffle, mais la vie elle-même, le principe de tout mouvement, s’est suspendu. Sauf en moi : que dois-je faire de ce présent, que je ne reçois pas comme un cadeau ? Être seule vivante dans un monde déjà mort…Je ressens cette cessation de tout mouvement non seulement dans l’air, dont il me semble qu’il s’épaissit à chaque minute, mais également sous mes pieds : c’est alors qu’elle a cessé que je reconnais la perception que j’avais d’une infinité de communications sous les plantes de mes pieds. Tout cela s’est tu – silence de mort. C’est ce silence même qui est la mort. Car le non-silence venait des infinitésimaux mouvements, des innombrables croisements, des incommensurables échanges de ce qui vit sous nos pieds, relié à l’air qui nous entoure, jusqu’aux plus vastes masses d’air dans l’atmosphère. Et si tout cela ralentit jusqu’à s’arrêter, alors c’est la vertigineuse chute dans le néant qui s’amorce. Il peut y avoir une concordance sinon parfaite du moins pas trop dissonante entre les mouvements humains et ceux de tout ce qui vit autour – peut-être est-ce ce que nous rappelle la musique, ce qu’elle nous fait entendre comme une possible variation de l’harmonie. Ce que certains ont cherché jusqu’au cœur des étoiles, nommant cela l’Harmonie des Sphères. Cette apnée est l’événement le plus effrayant qui soit. Si plus rien ne pousse, si plus rien ne croît, je ne sais plus où trouver le principe de ma propre vie.
Soudain le téléphone sonne, comme un couteau qui lacère une paroi étouffante : le son me griffe en même temps qu’il me sauve.